Ou le type n’ecrase jamais le propos, mais le sert et le rehausse. A chaque film, Pedro Almodovar gravit un echelon dans
Un chef-d’?uvre, entre feuilleton et melodrame. Parle avec elle est un ample chant melancolique sur la chair et l’esprit, le desir et nos sentiments, la foi et la folie, l’art et la mort. Ou le style n’ecrase jamais le propos, mais le sert et le rehausse.
A chaque film, Pedro Almodovar gravit un echelon dans la beaute.
Depuis Notre Fleur de mon secret, borne amorcant votre virage postmovida, les couleurs petantes se sont adoucies, nos decors pop art se seront faits plus discrets, l’humour henaurme du Madrilene s’est manifeste a doses plus homeopathiques, sans pour autant renier nos acquis precedents. Et bien et cela laissait indifferents des detracteurs d’Almodovar qui ne voyaient au sein d’ ses films qu’un cinema de surface trop clinquant , tout ce bric-a-brac rigolo et colore s’est attenue au profit d’une vision plus melancolique et secrete, se deployant avec une amplitude et une profondeur aux confins du pur melodrame. Apres La Fleur du secret, le tres excellent En chair et en os et le succes international merite de Tout sur la maman ont creuse cette veine Sans compter que qui plus est mature et doucereusement amere, Afin de en arriver aujourd’hui a Parle avec elle, qui ressemble etrangement a votre chef-d’?uvre.Tout commence via une representation du spectacle de Pina Bausch, Cafe Muller : 2 dames paraissent en train de tomber, 2 hommes tentent d’empecher, ou bien, d’adoucir un chute. Parfait resume conceptuel et choregraphique de la video a venir on s’en rendra compte prochainement. Contrechamp par la salle : deux hommes assistent au spectacle, l’un pleure, l’autre jamais. Deux reactions face a une emotion esthetique : 2 personnalites, deux natures, deux attitudes, deux personnages de cinema differents. On crois que ces deux spectateurs-la forment votre couple… mais votre sont de simples coloc’ d’un jour, reunis avec le cadrage voila l’une des nombreuses fausses pistes du film. L’un, Benigno, reste infirmier ; l’autre, Marco, reste journaliste-ecrivain. L’un s’occupe d’Alicia, une patiente dans le coma, avec un soin depassant largement le minimum syndical. L’autre tombe amoureux d’une torera rencontree au cours d’un reportage. Notons au passage que Lydia, la torera, est jouee avec une certaine Rosaria Flores : avec ses traits androgynes, sa beaute rugueuse, cette dernii?re a du chien et tranche au milieu des poupees lisses et parfaites en vogue au cinema hollywoodien ou le mannequinat international. Emblematique des castings d’Almodovar, elle resume l’attitude du cineaste face aux schemas dominants. Mais revenons a ce debut de film. En une vingtaine de minutes, Almodovar nous livre une somme d’informations, de virages narratifs et d’ellipses temporelles, autant de pistes pour lancer des dizaines de films possibles, l’article a la vitesse d’une telenovela ayant rompu l’ensemble de ses freins. Cette generosite du recit emballe et destabilise en aussi temps libre le spectateur, tout en preservant le mystere de la video quelle direction va-t-il prendre puisqu’il parai®t s’engager dans dix routes differentes ?Encornee avec un toro, Lydia se retrouve a le tour au coma. L’hopital reunit les protagonistes : Benigno et Marco au chevet d’Alicia et de Lydia. Les deux hommes reagissaient differemment au spectacle de Pina Bausch ? Ils adoptent une attitude opposee face a la mort. Marco est cartesien, materialiste, sans doute athee : Afin de lui, si le corps de Lydia ne repond plus, c’est qu’elle reste definitivement morte. Benigno, lui, est « croyant » : Alicia a beau ne pas bouger, tant que quelques de ses fonctions biologiques continuent, il votre considere tel vivante. Alors Benigno Notre dorlote, lui cause tel si elle l’entendait (et peut-etre que…), la cherit comme l’amour de sa propre life. Benigno reste sans doute une sorte de mystique, qui croit en l’ame et a l’invisible (il ferait eventuellement un bon cineaste). Quand Benigno reve, Almodovar materialise le songe avec un tresor de faux film muet, L’Amant qui retrecit, votre bijou melangeant fantastique des origines et burlesque ?dipien. Mais votre intermede ne cache-t-il nullement la part rencontres pour adultes musiciens la plus tordue du benin Benigno ? Fetichiste amoureux d’une poupee gonflable, necrophile entiche d’une morte ? Benigno est certes plus avenant que le Bates de Psycho, mais plus amoureux detraque que le Scottie de Vertigo. Une folie rose et noire.C’est une des nombreuses et magistrales ambiguites du film. Car si Marco et Benigno s’opposent, c’est aussi qu’ils se completent, qu’ils ont eventuellement quelque chose a s’offrir. Benigno est en mesure de injecter a l’autre un brin de sa croyance, de sa legerete. Et le cartesien Marco peut ramener l’amoureux fetichiste par des realites plus terrestres. Le ciel et la terre, la parole et la chair,le spirituel et le materiel, les flux d’energie impalpables et les corps tangibles : Almodovar ne choisit pas, mais entremele ces yin et yang. Le corps est ici omnipresent, dans l’ensemble de ses etats : choregraphies de Pina Bausch, rituels tauromachiques, chair inerte reduite a ses fonctions humorales. Mais ces corps ne seraient rien sans la transmission de flux emotionnels invisibles : de Pina Bausch a Benigno et Marco, de Caetano Veloso a Marco et Lydia, de Lydia a Marco, de Benigno a Alicia, de Marco a Benigno, etc., des regards et des paroles agissent. Almodovar enveloppe tous ces motifs dans une forme qui n’a jamais ete aussi elegamment dosee, aussi appropriee. Car le style ici n’ecrase jamais le propos, mais le sert et le rehausse : beaute depouillee des cadrages, souplesse des mouvements d’appareil, fluidite des enchainements, jeux des regards accompagnent la circulation des histoires et des sentiments. Sans oublier le role essentiel d’Alberto Iglesias, dont la musique melancolique et voluptueuse constitue un facteur majeur des mises en scene d’Almodovar depuis Notre Fleur du secret.Parle avec i§a reste une ronde de transfusions diverses, successives et reciproques, le sang vital dit tour a tour l’amitie, l’amour, la parole, la transfiguration artistique… Cette seve irrigue les personnages du film, ainsi, la soiree lui-meme. Car le premier et ultime beneficiaire de votre charade d’energies, c’est le spectateur, qui ressort de la salle regenere avec bien votre que Parle avec elle lui a donne a voir, a ressentir et a affirmer.
Parle avec elle de Pedro Almodovar, 1 h 52, avec Dario Grandinetti, Rosaria Flores, Javier Camara, Leonor Watling, Geraldine Chaplin…